Le jeu vidéo événementiel a-t-il vraiment un avenir ?

Pandémie et confinement obligent, l'année 2020 fut dans le monde entier celle des événements en ligne. Concerts, visites de musées virtuels, cours de sports ou leçons à distance : chacun a vécu sa vie culturelle et personnelle à travers un écran.

Le jeu vidéo événementiel a-t-il vraiment un avenir ?
Crédit : Stella Jacob / Unsplash

Pandémie et confinement obligent, l'année 2020 fut dans le monde entier celle des événements en ligne. Concerts, visites de musées virtuels, cours de sports ou leçons à distance : chacun a vécu sa vie culturelle et personnelle à travers un écran.

Mais parmi tous les événements virtuels qui ont marqué cette année si particulière, le concert de Travis Scott dans Fortnite, en avril de l'année dernière, fait figure d'anomalie par sa démesure et l'engouement autour. 14 millions de personnes à travers la planète sont connectées simultanément dans le jeu vidéo pour se déhancher devant un avatar du rappeur ayant pris les proportions de Godzilla, devant une scène surréaliste et changeante, comme seuls les jeux vidéo peuvent en produire.

Un an après cet incroyable succès, les événements se déroulant dans les jeux vidéo ont-ils pris une nouvelle ampleur ? Va-t-on se diriger vers des “jeux vidéo événementiels", où l’on peut aussi bien profiter d’un défilé de mode qu'assister à une manifestation politique ? Analyse d’une tendance vidéoludique qui a probablement de longs jours devant elle.

A l’origine, la recherche des communautés

C’était en 2006. Une autre époque, bien lointaine, si l’on observe les choses par le prisme du développement technologique : le premier iPhone n’était pas encore sorti et il fallait attendre deux ans encore avant l’arrivée de Facebook dans sa version française.

Pourtant, au mois d’août 2006, pour la toute première fois, des artistes internationaux sont venus donner des concerts en live dans un jeu vidéo. Suzanne Vega d’abord, puis Duran Duran et même U2 ont fait un show virtuel dans l’univers de Second Life, un jeu de simulation de vie, au croisement entre le jeu de rôle en ligne et le véritable univers alternatif, qui bénéficiait à l’époque d’un énorme engouement médiatique.

Au milieu de cette décennie, environ 400 000 personnes se rendaient mensuellement sur le jeu. On est très loin des statistiques actuelles atteintes par Fortnite et, pourtant, les deux ont quelques traits communs : leur capacité à réunir de larges communautés de joueurs dans un même lieu où il est possible d’échanger, partager et mettre en commun l’expérience vécue. Le jeu vidéo n’est alors plus un simple jeu, mais un média, une plateforme sociale où se lient des amitiés et toute une vie alternative. Et, en conséquence, des événements que l’on vit ensemble. Mais comment sommes-nous passés de la marginalité de Second Life, rapidement tombé dans l’oubli et éclipsé par les réseaux sociaux, au foudroyant succès du jeu d’Epic Games ?

Pour Jean Zeid, conférencier et écrivain spécialiste du jeu vidéo, c’est du côté de la plateforme de streaming Twitch qu’il faut regarder. “Avec l’arrivée de Twitch en 2011, le jeu vidéo est devenu un média, un élément en direct qui a fait exploser les capacités communautaires des jeux. Aussi fédérateur qu’une série ou qu’un match de foot, Twitch rassemble. Le direct est alors un élément essentiel (...)”, nous explique-t-il par téléphone. “Les événements dans les jeux comme Fortnite sont dans la pure ligne droite de cela. Fortnite est devenu un média, un réseau social, tout à la fois. C’est un jeu-monde, véritablement.”

Credit : Vlad Gorshkov / Unsplash

Quand les marques débarquent in-game

Fortnite, malgré cette place de jeu-monde incontestable, n’est pas le seul titre à proposer des événements d’ampleur dans son univers. L’année 2020 a été marquée par l’émergence massive d’expériences vidéoludiques inédites mêlant communication commerciale, politique et vie culturelle. “Ce qui est nouveau, ce sont les collaborations de marques et l’ambition événementielle, qui est passée à un autre niveau”, explique Jonathan Dumont, PDG de Warning Up, agence de communication et événementielle spécialisée dans les jeux vidéo.

Sur Animal Crossing, la mode a fait sa Fashion Week virtuelle avec des défilés de Valentino, Gémo ou encore Louis Vuitton. On a aussi vu Ikea proposer son célèbre catalogue directement dans le jeu. Côté politique, Joe Biden a mis en place des pancartes à son effigie. Des manifestants de Hong Kong ont aussi protesté pour leur indépendance en se réunissant dans le jeu. Plus récemment, cet été 2021, c’est dans World of Warcraft que des manifestants contre la culture du sexisme de l’entreprise Blizzard ont manifesté en lançant des sit-in.

Côté culture, on peut citer le rappeur Lil Nas qui a réalisé un concert dans Roblox en novembre dernier ou Christopher Nolan qui a diffusé trois de ses films dans Fortnite. A plus petite échelle, le groupe de rap français DTF a réalisé un concert dans l’univers de GTA V Online, en mai dernier, sur l’invitation du streamer français JL Tomy.

Pourquoi ces expériences se sont-elles multipliées et ont-elles vraiment un avenir, en-dehors du contexte de crise sanitaire ? “La pandémie a eu un effet déformant sur ces événements. Nombre d’entre eux ont été une alternative à un événement physique. Cela étant dit, ce qui va rester, c’est la dimension universelle de ces jeux : les artistes et marques peuvent s’adresser de manière simultanée à un consommateur sur deux qui joue aux jeux vidéo”, affirme Jonathan Dumont.

Pour Jean Zeid, c’est le début, à peine, de quelque chose parti pour durer. "Ça va être exponentiel. Toute la culture va y passer à un moment ou un autre parce que ces mondes alternatifs proposent quelque chose de différent. La récente approche de Netflix avec le jeu vidéo montre qu’il y a une envie. Google et Amazon voudront aussi proposer une plateforme capable de rassembler les gens différemment. Et quoi de mieux que le jeu vidéo pour cela ?”, continue-t-il.

Proposer des expériences uniques 

Parti pour durer, mais comment ? Comment pourra évoluer le “jeu vidéo événementiel", passé l’effet déformant de quelques événements-mastodontes comme Travis Scott dans Fortnite ou Lil Nas dans Roblox ?

“Pour le moment, on reproduit ce qu’on fait dans le réel comme les concerts et le cinéma. Qu’est-ce qu’on va pouvoir continuer à proposer aux joueurs pour qu’ils trouvent un intérêt à aller à un événement comme un concert en ligne, plutôt qu’un véritable festival ? C’est tout l’enjeu”, s’interroge Jonathan Dumont.

On peut imaginer beaucoup de choses, mais ce sont avant tout des expériences ludiques et inatteignables dans le monde réel qui peuvent pousser les joueurs à se tourner vers ces événements “in-game” sur le long terme. Comme de véritables “méta-vers” en réalité virtuelle, grande marotte du moment de Facebook, où l’on se promène librement dans divers univers façon Ready Player One. Facebook propose déjà cela avec Horizons, un univers en VR où on peut jouer, parler, se promener, voir des concerts ou aller dans un zoo numérique. Sans emporter un grand succès auprès du public.

Mais si Facebook ou Epic Games ont les rênes solides et peuvent subir l'échec, ce n'est pas le cas de tout le monde : le jeu vidéo événementiel du futur nécessitera la mise en place de moyens techniques et financiers colossaux. « Clairement, c'est le début de quelque chose. Mais les coûts d'activation sont très importants et seuls une poignée de jeux font l'affaire (...) techniquement, au sein du jeu, mais aussi du côté des artistes et partenaires », conclusion Jonathan Dumont.

Pour créer le jeu-monde qui saura emballer au-delà des frontières des jeux vidéo, au-delà encore du succès de Fortnite, emportant sur son passage l'engouement des sponsors et des consommateurs de tous horizons, le travail est encore colossal.