Appels d’offres inacceptables : Comment recréer la confiance entre annonceurs et agences ?
Le 3 novembre dernier, LÉVÉNEMENT diffusait sa webTV “[A]LIVE : Appels d’offres, la ligne rouge est franchie !” dans le cadre d'une campagne de communication adressée aux annonceurs. L’organisation professionnelle, dont la vocation de défendre et faire entendre la voix des entreprises de conseil, de création et de production en communication événementielle, alerte en effet depuis plusieurs mois sur un retour des appels d’offres qui se fait de façon inacceptable : délais trop courts pour une quantité trop importante de livrables attendus, trop grand nombre d’agences en compétition, absence d'indemnisation…
Les agences membres de LÉVÉNEMENT ont estimé dans une récente enquête que seuls 20% des appels d’offres étaient menés de manière responsable. Et en effet, les témoignages reçus par l’organisation sur les réseaux sociaux confirment ces résultats : appels d’offres avec 8 agences en compétition, budgets non-communiqués “pour ne pas brider la créativité”, recos présentées face un mur Zoom de caméras et de micros coupés... Le constat est sans appel : il y a quelque chose d’insupportable dans ces pratiques. Mais alors, comment se l’expliquer, et quelles pourraient être les solutions ?
Durant cette édition d’[A]LIVE, représentants d'associations, acheteurs, patrons d'agences et acteurs de la chaîne de valeur événementielle ont tenté ensemble de répondre à ces questions.
"Peu de gens passent du temps à comprendre nos métiers”
Pour Mercedes Erra, Présidente de l’Association pour les Actions de la Filière Communication, il y a un problème évident : les clients ne cherchent pas suffisamment à connaître le fonctionnement des agences et sous-estiment donc clairement la sophistication et l’exigence de leur travail. “Je pense qu’il y a peu de gens qui passent du temps à comprendre nos métiers”, affirme-t-elle, insistant ensuite sur le fait qu’il faut “un peu de temps, d’intelligence, d’approfondissement pour (…) respecter ces métiers durs, intenses, qui demandent de la compétence”.”
Ce constat est partagé du côté des acheteurs, qui reconnaissent volontiers ces lacunes. Cédric Ngo Van, Directeur des Achats ManpowerGroup, membre de l'ADRA (Association et des Directeurs et Responsables Achats), concède en effet que : "la plupart du temps, il y a un déficit de connaissance et surtout une mauvaise appréhension [du métier des agences] en matière de structure et de cadre”.
Difficile également pour les clients de comprendre le modèle de rémunération bien particulier des agences de communication événementielle. “Peu d’acheteurs aujourd’hui ont compris que l’agence va à 80% acheter des prestations pour le compte de l’annonceur et que le reste c’est de la rémunération : beaucoup de jours hommes, des talents et du temps passé (…) c’est une particularité du métier événementiel. ”, affirme Michel Georget, Consultant the adDress | Ex- Directeur Événementiel Monde Groupe Renault.
“Il faut bien considérer que derrière tout cela, il y a des femmes, il y a des hommes qui travaillent”
Cette mauvaise compréhension de l’investissement et du travail que représentent la réponse à un appel d’offre entraîne mécaniquement une sous-estimation du montant de l’indemnisation qui devrait être reversée aux agences non-retenues. Pourtant, il existe des textes de loi pour encadrer cette indemnisation, du moins en ce qui concerne les achats publics, comme le rappelle Julien Roset, Président de l’UCC Grand Sud : “dès qu’on demande un investissement significatif à un candidat (…), il y a obligation d’indemniser (…) L’indemnisation doit être de minimum 80% du travail qu’on a demandé pour la compétition”. Pourtant, selon l’enquête menée par LÉVÉNEMENT auprès de ses agences membres, à l’heure actuelle seuls 7% des appels d’offres sont indemnisés, et seulement à hauteur de 10% des frais engagés.
Cette disproportion entre la grande quantité de travail fourni et la maigre indemnisation qui vient (parfois !) la rémunérer est potentiellement très démotivante pour les collaborateurs des agences. “Il faut bien considérer que derrière tout cela, il y a des femmes, il y a des hommes qui travaillent” rappelle Arnaud Chouraki, dirigeant de MCI France et Vice-Président de LÉVÉNEMENT, avant d’évoquer un climat “extrêmement délétère”. En résulte une nouvelle problématique très inquiétante pour le secteur : les métiers de l’événementiel ont perdu en attractivité. “C’est un métier dur, il y a des gens qui partent parce que s’il n’y a pas un respect profond, qu’on n’est pas tant payé, on ne voit pas pourquoi on resterait à faire tant d’effort pour ça... ”, regrette Mercedes Erra.
Ces mauvaises conditions d'appels d’offres nuisent également à la créativité des agences, qui en ont pourtant à revendre ! Valérie Revol, Category Sourcing Manager Marketing Communication chez LVMH, s’en désole : “Je ne veux pas qu’on voie les agences comme des logisticiens (…) vous êtes là pour nous apporter vraiment une idée, quelque chose d’incroyable, et on doit rémunérer cette création”. Axel Bonnichon, fondateur de l’agence black lemon, ne peut qu’aller dans son sens : "Il faut qu’on ramène de la confiance dans l’échange. Notre métier c’est d’être créatifs, d’avoir des supers idées (…) et au final on passe 70% de notre temps à parler chiffres et optimisations”.
“La course à l’appel d’offre, ça épuise bien sûr les agences (…) ça épuise aussi les départements achats et ce n’est pas vertueux”
La question de la confiance mutuelle semble en effet être centrale pour revenir à des appels d’offres plus responsables. Valérie Revol rappelle qu'une certaine défiance persiste entre agences et annonceurs : “Je crois qu’il y a eu des abus dans un sens et dans l’autre, et que c’est un peu l’effet boomerang”, regrette-t-elle.
Chloé Rothenbühler, Directrice Achats BMW Group France, souligne quant à elle que les départements Achats souhaitent évoluer dans le bon sens. “On voit beaucoup les achats comme n’étant que dans le cost-killing.(…) Il y a beaucoup de direction achats qui ne sont plus dans ce phénomène-là. On a vraiment envie d’obtenir les meilleures propositions des agences (…) et aussi de construire des partenariats à long terme.”
Pour mieux encadrer les Appels d’Offres, les acheteurs ont en effet une réelle volonté de mettre en place des pratiques plus vertueuses. Cédric Ngo Van le confirme : “A l’ADRA, l’idée c’est de se demander comment on met en place des bonnes pratiques et comment on les diffuse (…) Il faut qu’on apprenne à se connaître, pourquoi pas écrire ensemble un livre blanc commun (…) pour ensuite créer une relation de partenariat et de confiance.” Car en effet, comme le souligne Chloé Rothenbühler, “La course à l’appel d’offre, ça épuise bien sûr les agences (…) ça épuise aussi les départements achats et ce n’est pas vertueux”.
Quelles solutions ?
Alors, quelles solutions pour des Appels d’Offres plus responsables ?
Pour Carine Le Saux, Directrice Commerciale du Groupe Barrière, il faut avant tout “remettre de l’humain pour être dans l’échange, la construction. (..) si les règles du jeu sont clairement établies avec du dialogue, de l’échange mutuel, de la co-construction, on en sortira tous gagnants”. Mercedes Erra, quant à elle, rappelle que la responsabilité peut aussi être du côté des agences qui se montrent parfois trop dociles : “Il ne faut pas se laisser faire, il faut se faire respecter : notre métier est un grand métier (…) un métier très brillant qui construit de la valeur pour les marques.”
Ne pas se laisser faire, c’est la position prise par l’agence black lemon, qui, au sortir de la crise covid, a annoncé désormais ne plus accepter de participer à des appels d’offres non rémunérés. Selon Axel Bonnichon, cette initiative a aussi permis à son agence d’éviter de répondre à des compétitions où la qualité des briefs laissait à désirer : “Ça nous a aidé à faire un filtre très positif (…) j’invite toutes les agences à nous suivre !”
Côté achats, on instaure de nouveaux process pour gagner en responsabilité : “Chez LVMH, on a mis une charte de Best Practices en place, que l’on on fait signer à nos agences (…) pour avoir de la transparence. (…)”, affirme Valérie Revol. “Chez the adDress, on est en train de travailler sur une charte des productions éthiques et responsables à sortir en début de l’année prochaine.” ajoute Michel Georget.
Côté organisations professionnelles, l’UCC Grand Sud travaille à la mise en place d’un guide de l’achat public, qui comprendra un rappel de la loi encadrant les appels d’offres publics et donnera des recommandations sur la qualification des briefs et les étapes de la sélection. Ce guide devrait être publié d’ici la fin 2021.
Enfin, LÉVÉNEMENT a décidé de créer un Club d’Excellence rassemblant des annonceurs, des acheteurs et des représentants d’agences, avec pour objectif de redéfinir les conditions d’une vraie relation partenariale responsable, et pour ambition de réinventer un modèle relationnel mutuellement bénéfique, basé sur l’excellence et sur la performance, empreint de respect et créateur d’une confiance durable.”