Brief d’annonceur cherche concept créatif sur-mesure
Entretien avec Nathanaël Rouas co-fondateur de la marketplace de concepts créatifs kikar.co.
Et si on inversait le processus d’idéation dans la communication et la publicité ? Et si c’était un algorithme qui mariait briefs d’annonceurs et concepts créatifs d’agences ? C’est l’idée portée par Nathanaël Rouas co-fondateur de la marketplace de concepts créatifs kikar.co. Entretien.
« Mon rêve, c’est qu’un concept de TBWA à Buenos Aires matche avec un brief d’Heineken à Dublin ».
Le ton est donné. Des concepts créatifs brillants qui n'ont pas trouvé preneur, Nathanaël Rouas, cofondateur de kikar.co en a vu passer, en plus de dix ans de carrière. La faute à de mauvais matchs. Ce n’était pas le bon concept pour le bon brief. La faute aussi à des briefs que l'on n'adresse qu'à deux, trois agences "de référence" quand c’est peut-être dans la quatrième ou la cinquième moins « évidente" - et que l’annonceur ne connaît pas - que se loge le concept coup de foudre. Lancée il y a quelques mois, la plateforme Kikar.co mise sur un algorithme-entremetteur qui fait se rencontrer briefs et concepts inattendus. On en parle avec Nathanaël Rouas.
Matcher concepts créatifs et briefs d’annonceurs grâce à un algorithme qui joue les entremetteurs, c’est plutôt osé comme démarche. D’où vient-elle ?
Mon associé Benjamin Mamou et moi avons cumulé les expériences dans la création et la production au sein de grands groupes tels qu’Havas, BETC ou Publicis, d’agences spécialisées, comme dans des sociétés de production. Pendant ces dix années de carrière, on a constaté combien nos équipes sortaient des idées géniales de leur cerveau créatif. Malheureusement, toute cette valeur créative n’était pas toujours exploitée parce que ces concepts-là n’étaient pas présentés, achetés ou ne rencontraient pas le bon client. J’ai tellement entendu, « c'est trop bête, elle était géniale, cette idée ! » Je suis un amoureux de l’idée, ça m'a toujours tué. On ne veut plus entendre « elle était géniale, cette idée », mais « elle est pour moi, cette idée ». Ces concepts doivent sortir, prendre vie et Kikar est pensé pour ça : faire naître le bon concept au bon moment en le faisant matcher avec le bon brief.
Vous avez donc détourné la rencontre classique d’une marque avec une agence…
Oui, on a changé l’étape d'idéation. D'ordinaire, une marque rencontre une agence, lui confie un brief. L’agence mobilise ensuite des créatifs. Nous, on pense que pour tout besoin de communication d’un annonceur, il existe déjà quelque part dans le monde une agence qui a le concept qui y répond parfaitement.
Notre principe a été de sourcer des milliers de concepts auprès des meilleures agences de tous types et pour tous les budgets, d’y coller de la data et d’en nourrir notre algorithme. On a aussi bien des concepts d'Havas Sports Entertainment, de Pavillon Noir ou de Wato dans l’évènementiel comme ceux d’agences plus spécialisées dans la réalité augmentée ou l’expérience d’escape game virtuel. Les agences déposent leurs concepts sur notre plateforme. Les marques, leur brief. Et c’est notre algorithme aidé d’humains qui va faire le match.
Donc vous qualifiez le brief à partir de ce pré-match ?
Quand les agences s’inscrivent, elles répondent à une dizaine de questions qui permettent de qualifier la cible, l’enveloppe budgétaire, le type de média et la tonalité souhaités. Les agences répondent au même type de questions pour le dépôt de leur concept. Ensuite notre algorithme fait le pré-match. En effet miroir, notre algorithme va identifier les concepts qui y répondent. Et donc oui, à partir de là, l’agence est notifiée, elle customise sa présentation pour que le concept corresponde parfaitement aux besoins de la marque. Le plus dur a été fait : trouver le bon match.
Votre plateforme soulève une question régulièrement posée ces dernières années, celle du mariage possible entre créativité et algorithmes.
On a une « religion » très claire sur ça. Le génie humain ne sera jamais remplacé par l'algorithme pour des questions de sensibilité, de créativité, oui. Néanmoins, je pense que la technologie peut servir à trouver le bon concept dans la botte de foin au bon moment. Notre parti pris, c'est celui-là.
On ne travaille qu'avec des agences capables de délivrer toute la campagne, pas de créatifs indépendants. On a aussi plein d'agences spécialisées, par exemple, sur les filtres Instagram, la création de podcast, sur des cibles très précises. Ce ne sont pas des mastodontes mais elles ont des concepts géniaux qui ne trouvent pas toujours le bon client. Les annonceurs n’y pensent pas. Par exemple, lorsque Guillaume Rostand, CMO de liligo.com a découvert les concepts avec lesquels son brief a matché, sa première réaction a été de nous dire, « c’est génial, je n’aurais même pas pensé à briefer ces agences alors qu’elles avaient le concept dont j’avais besoin ».
Et sur de l’évènementiel, est-ce que vous appliquez la même démarche ?
Oui, c’est le même principe. Les marques déposent des briefs et les agences, leurs concepts. Typiquement, les annonceurs demandent pour leur évènement de communication interne à sortir des apéros Zoom. On va les faire matcher avec des agences qui se sont spécialisées de fait avec la crise sur une offre digitale. Et par la suite, les agences customisent leur présentation pour coller parfaitement au besoin de l'annonceur. Aujourd'hui, il y a tellement de réponses possibles que les marques ne savent plus où donner de la tête. Elles n'arrivent plus à sourcer les agences, alors qu'en fait, l'important, c'est de sourcer le concept. En 3 minutes, elles déposent leur brief. Et trois semaines plus tard, elles ont trois concepts de campagne. Et Kikar les accompagne sur le choix à faire (à partir entre autres d’un système de rating appliqué aux différents critères du brief, ndlr). Elles découvrent des opportunités auxquelles elles n'auraient pas pensé.
Vous vous êtes lancés en 2020, en pleine pandémie. Est-ce que vous avez observé une évolution dans les briefs ou les concepts dans l’évènementiel ?
Oui, c’est sûr. On a vu émerger de nouveaux formats. Comme je vous disais, tout le monde a essayé de sortir de l’apéro Zoom. Les agences ont dû à bien des égards attaquer de zéro mais ça a enclenché une vraie révolution créative ! C’est génial, même si les agences ont dû redoubler d’évangélisation et d’accompagnement pour expliquer que ce qui se faisait en physique ne peut pas être traduit de manière littérale en digital.
Au final, c'est une autre grammaire.
Oui, c'est un autre medium. Au même titre qu'on ne parle pas de la même manière sur Snapchat ou Instagram, on n’écrit pas, on ne pense pas de la même manière un évènement physique ou digital. On ne peut pas demander à des gens de rester deux heures derrière leur écran pour un talk. En physique, ils peuvent se balader, rencontrer des gens, prendre un café… et assister à deux heures de talk, tranquillement. C'est une nouvelle conquête, c’est une ruée vers l'or pour les agences évènementielles en ce moment. Ça doit être assez grisant. Tout dépend de comment on le prend.