Comment l’événementiel est en train de se réinventer avec la TV (et vice versa)
Pour capter l’attention ô combien volatile des publics BtoB et BtoC exilés par la situation sanitaire sur les Internets, le secteur de l’événementiel a misé en masse sur les dispositifs d’émissions TV. Ou bien est-ce désormais l’inverse ?
Mars 2020 : Le monde de l’entreprise bascule fébrilement sur les plateformes de vidéoconférence. Zoom avait en avril 2020 300 millions de participants quotidiennement. Et Google Meet rassemblait chaque jour, de son côté, 100 millions d'utilisateurs. Pour pallier la « zoom fatigue » ambiante et galvaniser leurs collaborateurs, clients et partenaires, les annonceurs ont jeté leur dévolu sur des formats et des mécaniques empruntées à l'audiovisuel. Mais c’était sans compter sur la créativité de l’événementiel qui semble petit à petit inverser la donne.
Le live à distance ne date pas d’hier. Rompu à l’exercice depuis déjà quelques années, le secteur de la communication événementielle a dû néanmoins systématiser sa pratique avec la crise sanitaire. Dans sa version numérique, l’événement live emprunte beaucoup aux émissions TV. Plateaux, animateurs, plusieurs axes caméra, des réalisateurs issus de la télévision. Mais il invente aussi ses propres codes en adéquation avec son savoir-faire premier : la gestion du direct.
Nous avons échangé avec trois professionnels, directeurs d’agences spécialisées et de l’activité « live » dans une grande agence. Avec eux, nous avons joué au jeu des différences entre l’univers de la TV et de la communication événementielle. Et la somme est loin d’être en défaveur de l’événementiel. Au contraire, l’émission TV gagnerait à loucher sur la copie de son parent, l’événement live.
« Le plus bel exemple [de ce changement], ce sont nos locaux. Plus de la moitié de leur surface est désormais allouée à des plateaux TV. Nos studios fonctionnent tous les jours pour nos clients », nous raconte un patron d’agence converti au digital depuis quelques années. Il y a dix ans, son agence lance la recherche et développement d’une solution permettant d’opérer et de modeler sans dépendre des plateformes un évènement en live et en ligne. « Mais la demande n’était pas mûre ». Inutile de dire que depuis, ils « cartonnent ». Les studios TV en propre de l’agence tournent à plein régime au quotidien. D’autres agences ont recours directement aux plateaux TV traditionnels, étaye une autre source. « Comme les lieux traditionnels de l’événementiel étaient fermés pendant le confinement, on a dû se replier sur des lieux de tournage de la TV ». C’est ainsi que les studios de de TF1 ou de Canal+ ont « servi d’écrin à des évènements d’entreprise ».
Le roi, la reine et le valet ont changé de place
Avant la crise sanitaire, les agences avaient déjà recours à des profils issus du monde de la télévision pour assurer la captation d’événements en présentiel. La crise rebat les cartes - les fiches de poste de chacun - et salue de nouveaux arrivants issus du monde de la télévision et plus étonnant, du jeu vidéo.
« On peut faire appel à des réalisateurs TV qui ont une signature marquée. Par exemple, Serge Khalfon (le fameux Magnéto Serge de Thierry Ardisson, ndlr) ou Benoît Lemoine (qui a signé entre autres la réalisation des émissions Thé ou Café ou C’est dans l’air, ndlr) ».
La différence avec le monde d’avant réside dans la nature de leur intervention. Auparavant, ce n’était qu’une fois l’événement vendu et la scénographie de l’événement décidée qu’intervenait le réalisateur qui devait s’adapter.
« Désormais, le réalisateur peut intervenir dès la conception de l’événement, main dans la main avec le scénographe ».
Ce dernier - le scénographe - a dû repenser son métier et travailler avec d’autres profils issus du monde du jeu vidéo. « Auparavant, un scénographe travaillait sa scénographie sur un logiciel d’architecte, le logiciel 3Ds max. Désormais, il transfère son décor en 3D sur un logiciel de jeu vidéo qui va animer, donner du volume à ce décor ». Une approche d’ailleurs reprise par la télévision dans certains journaux télévisés. Notamment ceux de TF1 et de M6. Cette année, nombreux ont été les VFX artistes, animateurs, ou développeurs - dont l’habitat naturel est d’ordinaire l’animation ou le jeu vidéo - à rejoindre les équipes des agences. D’autres agences ont tellement misé sur ces profils qu’elles ont développé en interne leur propre logiciel, leurs propres solutions d’événement live en ligne, dopé à la réalité virtuelle et augmentée.
Du côté des chefs de projet événementiel, même combat que les scénographes.
« C’est une forme nouvelle de leur métier de base : il leur faut comprendre comment fonctionne une plateforme, anticiper les bugs techniques, prendre en compte les contraintes DSI des annonceurs. Ce sont de nouveaux réflexes ».
Le contenu, roi
Une évolution de ces métiers expliquée par un « changement de paradigme ». En présentiel, « on passait 80% de notre temps à régler des problèmes logistiques, la salle, la sécurité, les projections, la nourriture ». En digital, déclarent de concert nos experts interrogés, le contenu est encore plus le roi. « On ne peut plus se réfugier derrière la beauté d’un lieu loué ou la nourriture. Le fond est mis à l’honneur ». Et ça passe par une professionnalisation de la prise de parole, que ce soit dans la façon de concevoir ou de délivrer des messages. « Les intervenants sont davantage coachés pour être plus efficace dans leur manière de s’exprimer ». Encore une fois, là où sur scène, une parole balbutiante peut vite être oubliée, la caméra - ses gros plans et ses replays - n’épargne rien. « On est également beaucoup plus exigeants dans la rédaction des messages, et leur hiérarchisation. On doit prendre en compte la fatigue de chacun à être derrière les écrans ». Une ultra-efficacité appréciée par les annonceurs - et leurs collaborateurs. Tout ça dans le confort du domicile et accessible à l’infini et partout dans le monde.
Mais finalement, en quoi l’événementiel supplante dans ce format le monde de la télévision, demande-t-on à la ronde. Dans l’engagement et la gestion de l’interaction live, nous soufflet-on. « La magie du direct, c’est notre ADN. On sait gérer un événement en direct, mais surtout, on sait engager notre audience. Sur beaucoup d’événements, on a des taux de participation et d’interaction incroyables ». De là à dire que la télévision de demain, qui doit engager toujours plus son audience par le direct, gagnerait à s’inspirer de l’événementiel,… C’est un pas que nous franchissons allègrement.