Événements engagés : pourquoi et comment ?
Alors que valeurs et engagement sont devenus des éléments essentiels de la stratégie des entreprises, qu’en est-il du secteur événementiel ? Éléments de réponse avec Xavier Parenteau, directeur associé chez Herry Conseil, et Lauriane Gallet, responsable antenne chez Aremacs.
« Un événement engagé, c’est le produit d’une organisation », pose d’emblée Xavier Parenteau, directeur associé chez Herry Conseil. Après 17 ans au Stade de France, notamment en tant que directeur du développement durable, il accompagne depuis une dizaine d’années avec Herry Conseil les entreprises dans leurs transformations liées à responsabilité sociétale des entreprises (RSE). L’expert est catégorique : l’engagement est un mouvement de fond. «Une agence qui organise 50 événements par an ne va pas découvrir ce qu’est l’engagement et la RSE parce qu’un de ses clients lui demande un événement avec un cahier des charges plus éco-responsable. Qu’il s’agisse des agences, des prestataires audiovisuels, techniques ou des traiteurs… une organisation dans son ensemble doit faire preuve d’engagement. C’est à cette condition que les produits de cette organisation respireront cet engagement. »
Pour Xavier Parenteau, l’engagement commence par un questionnement vaste mais personnel : « Quel est le sens de son organisation, sa mission, sa vision, ses valeurs, sa démarche RSE ? Chaque agence a sa culture, ses territoires et ses spécificités. Même si toutes les RSE tirent vers l’objectif commun du développement durable et une économie saine, la façon de traduire cette stratégie est propre à chacun. »
Une position que partage Lauriane Gallet, responsable antenne chez Aremacs, une association qui accompagne les acteurs de l’événementiel dans leurs démarches d’éco-responsabilité. « Il s'agit d'enjeux majeurs et complexes. Cela demande un gros travail en interne et il est nécessaire que cet effort soit porté par la direction, qu’elle se questionne sur les objectifs et les usages, ce qu’on veut faire et comment on veut le faire. Un changement de paradigmes est nécessaire avant de penser aux actions concrètes à mettre en œuvre. »
Éviter le greenwashing
Une approche de fond qui évite les effets de postures. « Il ne s’agit pas de mettre des gobelets recyclables, de trier les déchets et de faire une conférence sur l’environnement, pendant que son organisation achète mal, paie mal, exploite et ne fait pas attention à l'origine des produits, schématise Xavier Parenteau. Pour qu’un événement soit engagé, le fond doit correspondre à la forme. »
D’ailleurs, selon Lauriane Gallet, l’époque se prête de moins en moins au greenwashing. « La plupart des acteurs ont compris qu’on n’a plus le choix. L’écologie n’est pas un effet de mode et est fondamentale pour nous et les générations futures. Le mouvement part de volontés humaines et collectives au sein des structures. »
Ainsi, les événements n’ont pas nécessairement intérêt à communiquer sur leurs engagements durables, précise Xavier Parenteau. « Les Francofolies, par exemple, ne communiquent pas de manière marketing, illustre-t-il. Mais les organisateurs ont compris que le festival a de l’influence à plusieurs étages auprès des personnes avec qui ils travaillent : les prestataires, les salariés, les territoires. » En plus de faire valoir leurs engagements auprès de leurs collaborateurs, les organisateurs mettent en place une programmation complémentaire et des espaces de sensibilisation au sein du festival.
Pourquoi, alors, ne pas communiquer sur ces actions vertueuses ? « Clamer “je suis responsable” sur tous les toits, c’est comme de dire “je suis poli”. Est-ce qu’on a tous besoin de dire qu’on est bien élevé et poli ? Ça serait pénible, tranche l’expert. Ce qui compte, ce n’est pas de le dire mais de le faire. Il ne s’agit pas de travestir un projet événementiel, il faut dégager de l’intelligence. Cela doit se voir, se sentir. »
Une demande de plus en plus répandue
De l’avis des deux professionnels, la volonté des acteurs de l’événementiel de s’engager dans une approche plus vertueuse est de plus en plus présente. « Au sens large, toute la société fait pression, résume Xavier Parenteau. L’événementiel doit s’intéresser à ces sujets au même titre que la grande distribution doit renforcer l’offre alternative comme le bio. »
Tous les acteurs du secteur avancent sur ces problématiques, entraînant les autres dans leur sillage. « Dans l’événementiel professionnel, les participants sont des gens qui appartiennent à des entités publiques ou privées qui elles-mêmes sont engagées. Plus les engagements de ces entités sont forts, plus leurs événements vont devoir être raccords. » Les sponsors peuvent aussi insister sur la tenue d’engagements RSE. Sans compter les collectivités territoriales, hôtes des événements. « La ville de Paris est très mature là-dessus, prend pour exemple le spécialiste. Elle pousse pour que les événements soient de plus en plus impactants positivement pour les Parisiens, qu’ils limitent les impacts négatifs pour l’environnement, qu’ils soient plus inclusifs, solidaires, etc. » Lauriane abonde : « À Lyon par exemple, la ville et la métropole sont gouvernées par le parti écologiste. Les attentes et les moyens mis en place sont renforcés. »
Xavier Parenteau souligne également l’impact d’événements exceptionnels comme les JO, qui ont un effet moteur dans l’accélération du processus. « Les cahiers des charges intègrent des volets de plus en plus précis sur l’engagement RSE, avec tous les enjeux de développement durable. »
Il y a aussi l’effet « marque employeur », souligne l’expert. « Toutes les agences et tous les prestataires doivent embaucher. Les jeunes sont de plus en plus regardants sur la qualité de l’engagement et le sens, la façon de faire de leur futur employeur. C’est un élément que l’on constate dans toutes les typologies d’événements. »
Lauriane Gallet met de son côté en évidence un « effet Covid ». « Les organisateurs d’événements ont eu du temps de libre et la crise a renforcé la prise de conscience : il est important dans nos actions de repenser nos modèles et nos fonctionnements. Aujourd’hui, on parle plus avec des lieux culturels, des équipes artistiques, des tourneurs, des médias… et plus uniquement avec des organisateurs d’événements. »
Certains acteurs, comme les salles de spectacles, ont pu rester plus éloignés de ces problématiques d’éco-responsabilité. « Les contraintes ne sont pas du tout les mêmes pour un lieu qui a son infrastructure que pour un événement qui part de zéro sur un lieu, souvent en milieu rural, explique-t-elle de cette prise de conscience plus tardive. Les festivals sont avancés sur ces sujets car ils sont conscients de leurs impacts et ont moins le choix. Dès la base du projet, les interrogations liées à la faune et la flore, à la biodiversité, sont automatiques et naturelles. Pour un lieu pérenne, la logique n’est pas la même. »
Une action progressive...
Alors, concrètement, l’engagement, c’est quoi ? « Il est très difficile de répondre à cette question de manière succincte », s’esclaffe la spécialiste de l’éco-responsabilité. Aremacs a découpé le terrain en 11 champs d’action dont les déchets, l’alimentation, les transports, la scénographie... « Au sein de ces 11 champs, il y a énormément de leviers et d’actions possibles. Quand on parle d’événementiel, on est obligé de penser personnalisation. »
« On est sur un marché d’acteurs protéiformes, abonde Xavier Parenteau. Ce n’est pas la même puissance de tir et le même rythme dans une agence de 3 personnes qu’avec 200. » Pour lui, l’engagement concret passe par l’apparition d’un nouveau métier au sein de l’entreprise, explique-t-il. « Dans l’organisation même de l’événement, il faut un responsable de l’engagement. C’est une fonction qui doit être portée, au même titre que le marketing, la technique ou la production. »
Les deux spécialistes s’accordent : l’engagement est un investissement sur le long terme. « On ne peut pas tout traiter d’un coup. Il faut y aller piano mais sano, prioriser les objectifs, définir des thématiques de travail, avise Laurianne Gallet. On conseille de commencer à travailler les enjeux de déchets, d’alimentation et de transports car ils ont énormément d’impact. Le transport a le plus d’impact carbone suivi de près par l’alimentation. La partie déchets a un impact carbone plus faible mais influe sur la faune, la flore, la biodiversité, la sensibilisation en termes de comportements et elle est très visible de la part de tous les acteurs. »
… et mesurable
La question de la mesure de l’impact de ces actions reste pourtant difficile. « Chaque organisation peut avoir son propre système de scoring, des objectifs et donc des mesures qui leurs sont propres », explique Xavier Parenteau. On peut néanmoins monitorer les moyens mis en place. Ainsi, depuis 2012, le label ISO20121 fait consensus au sein de la profession. Il s’agit d’une « norme internationale élaborée pour promouvoir une consommation responsable et atténuer les effets négatifs sur les infrastructures et les services publics locaux », comme le précise le site de l’organisation internationale de normalisation (ISO).
Au-delà de cette labellisation, les organisateurs doivent entrer dans une démarche d’auto-évaluation, si possible transparente. « Il faut rendre des comptes, faire le bilan de ses succès, ses échecs et ses pistes d’amélioration », estime Xavier Parenteau.
Aremacs développe un accompagnement en phase avec cette nécessité. « On a une démarche d’accompagnement avant, pendant, après, pose Laurianne Gallet. Avant, on détermine quelle typologie de déchets va être générée sur sa manifestation et comment les réduire. Pendant, on apporte le moyen matériel et humain pour favoriser le tri des déchets sur l’événement et sensibiliser toutes les parties prenantes, y compris les publics. Après, on produit un bilan quantitatif et qualitatif des actions menées, de la quantité de déchets collectés et valorisés, et des pistes de préconisation pour favoriser l’amélioration des pratiques. »
Partage des bonnes pratiques
Le secteur avance donc à bon rythme, et chacun n’hésite plus à partager ses bonnes pratiques. « Il est essentiel de se retrouver autour de ses enjeux communs, au-delà des concurrences », défend Xavier Parenteau. Les réseaux d’acteurs organisent des congrès sur le sujet : Unimev comporte une commission RSE, le ministère des sports a un club des acteurs engagés – ses membres ont signé en décembre la charte éco-responsable des organisateurs d’événements -, on trouve des collectifs de festivals et d’acteurs de la musique dans toutes les régions...
Aremacs vient de son côté d’organiser la 4ème édition des Journée de l'Événement Éco-responsable (JEER), un événement gratuit pour que les professionnels de l’événement et de l’économie sociale et solidaire échangent sur « leurs problématiques, leurs contraintes, leurs savoirs, leurs connaissances et leurs limites, et avancer de manière individuelle et collective », présente Lauriane Gallet. « En sortant, les participants nous rapportent qu’ils ont appris des choses, rencontré des gens et se sentent reboostés pour avancer sur ces questions-là. C’est très positif. »