Se retrouver : « ça donne de l’énergie pour la suite »

Se retrouver : « ça donne de l’énergie pour la suite »
Photo by Samantha Gades / Unsplash

Après les confinements successifs, le OuiShare Fest a été l’un des premiers événements à avoir lieu, en juin dernier. De l’importance du corps et d’un environnement partagé aux moments de joie commune retrouvés, Clothilde Sauvages et Maïwenn de Villepin, de l’équipe organisatrice du festival, reviennent pour Le Connecteur sur cette édition un peu spéciale.

Photo by Samantha Gades / Unsplash


Le dernier Ouishare Fest datait de 2017. « C’est beaucoup de temps et d’énergie, on avait envie d’autre chose », précise Maïwenn de Villepin pour expliquer ce hiatus. Mis en pause indéfinie, la question d’un événement sous Covid ne s’est donc pas posée pour les organisateurs.

En juin 2021, pourtant, le Ouishare Fest réunissait ses adeptes, anciens et nouveaux venus, à la Prairie du Canal, à Bobigny – une ferme urbaine transitoire où se côtoient serres et constructions éphémères en bois. Une édition « née du confinement, raconte Clothilde Sauvages. On était chacun chez soi, sans cet espace de discussion et de dialogue. C’était une période où il y a eu beaucoup de littérature et on entendait aussi beaucoup parler de ce fameux monde d’après. Ce Ouishare Fest est né de ça. On s’est dit qu’on allait avoir besoin de ces espaces de débats, de discussions, de dialogues, d’échanges, de se retrouver collectivement pour comprendre ce qui est en train de se jouer ». Le besoin de se retrouver est vital, se rappelle quant à elle Maïwenn de Villepin. « Il y avait cette notion de « il faut », parce que c’est trop important dans la suite de ce qu’on veut construire. »

Simuler la présence physique en ligne

Le lancement de cette nouvelle édition se fait en ligne - « l’occasion de recréer une dynamique, d’échanger et créer du lien entre les participants », expliquent les organisatrices. Elles choisissent Gather.Town, une interface aux allures de jeu vidéo très Pokémon qui permet de simuler une présence physique. Pour ce faire, les participants se choisissent des avatars, et peuvent se déplacer dans différentes pièces tout en engageant la conversation avec d’autres avatars dès qu’ils les croisent virtuellement. « C’était une expérience drôle et énergisante, se félicite Clothilde Sauvages. Mais il y a aussi de la frustration. Au moment où l’événement se termine, chacun est derrière son écran. » Les moments de partage sont contraints. « Tout est synchronisé dans un espace-temps cadré. L’imprévu existe très peu – sauf ceux liés aux bugs techniques, et on en a eu. »

Les organisatrices mettent également en place des « intervalles » : neuf discussions sous forme de tables rondes, via Zoom. « Nous avons proposé aux participants d’aller dans une autre salle à la fin pour échanger. Il y a eu quelques discussions, mais fondamentalement, ça marche moins bien. »

Les « temps morts », ces moments de vie

Ce qu’il manque avant tout : l’environnement partagé, pensent les organisatrices. « Quand tu arrives à la Prairie du canal, tu as marché à travers la ville, il y a de la boue partout. Déjà tu partages ça : se retrouver dans un lieu, avoir froid ou chaud, boire un thé. Il se passe quelque chose. » Dans cette édition autour de la thématique du temps long, les organisateurs mettent en place des espaces-temps où les gens peuvent échanger, se rencontrer. Les pauses de midi sont longues et le retour aux ateliers se fait par des rituels (des chants, des relaxations...) plutôt qu’une annonce au micro qui presserait tout le monde - « ce serait ironique », souligne Clothilde Sauvages.

« [La philosophe] Hélène l’Heuillet remarque qu’on appelle ces moments « temps morts » alors que ce sont des temps de vie, de rencontres, paraphrase Clothilde Sauvages. On se retourne pour faire face à quelqu’un qu’on connaît pas et sans savoir pourquoi on commence à échanger. C’est une proximité difficilement transposable en ligne. »

Pour célébrer le retour en plein présence, les organisateurs ont pensé à intégrer de nombreux ateliers autour du corps. Des moments de chants polyphoniques, de danse, de jardinage… « C’est important pour nous d’aller toucher tout ce qui compose l’être humain. La tête au niveau cérébral avec les interventions, les rencontres, l’inspiration ; le faire : démonter un portable pour voir comment il est fait, aller planter des graines dans les serres ; et l’émotionnel, la vibration, la sensibilité, l’artistique. »

« Pour la clôture, l’Université du Nous nous a fait vivre une expérience dans le chapiteau : on s’est déplacé dans l’espace, on a chanté, on a bougé, tout le monde tapait du pied, on a formé un tambour humain et créé un écho assourdissant. Ils nous ont fait danser en binômes, et cela nous a donné cette impression de découvrir l’autre autrement que par la parole. C’est quelque chose d’extrêmement fort. »

Les organisateurs bannissent également les keynotes – à quelques rares exceptions près – pour privilégier le format ateliers et conversations. Ils prennent également le parti de ne rien retransmettre en ligne, « pour se concentrer sur le fait de se retrouver et sur les connexions entre les personnes », justifie Clothilde Sauvages. « Ça a été au coeur de notre conception, résume Maïwenn de Villepin. Qu’est-ce qu’on peut partager en étant ensemble, qu’est-ce qu’on peut favoriser comme rencontres, comme naissance de ces petites choses qui nous échappent. On est là pour poser ce cadre, puis c’est aux participants, ça ne nous appartient plus. » Pour diffuser les idées du festival au-delà des participants, les organisateurs ont rédigé pour la première fois un rapport d’étonnement qui retrace les échanges et les apprentissages, librement disponible.

Faire monde commun

Ouishare Fest a dans son ADN – et dans son nom – le sens du partage et du festif. « On définit souvent les organisateurs comme des connecteurs. Et le Ouishare comme un corps intermédiaire. À travers les actions qu’on met en place, on essaie de lier des personnes qui viennent de mondes différents », confie Clothilde Sauvages. « Le sociologue Bernard Lahire dit que des enfants naissent dans une même société mais ne vivent pas dans le même monde. Nous, on essaie de rassembler ces mondes lors d’un événement, enchaîne-t-elle. C’est de la friction de ces rencontres, de ces questionnements et de ces points de vue qu’on arrive à faire avancer certains sujets. On n’a pas besoin d’être d’accord sur tout, en revanche nos postures évoluent lorsqu’on est à même d’écouter, d’entendre et de se mettre à la place de l’autre. »

Les organisateurs mesurent le succès d’une édition aux collaborations qu’elle a vu naître. Déjà, l’édition 2021 a donné lieu à des projets, se réjouissent les organisatrices : des partenariats avec des élus locaux se sont noués, et de jeunes associations ont trouvé leurs marraines. « C’est en rassemblant des personnes d’horizons différents qu’on arrive à créer des collaborations riches qui viennent nourrir les personnes qui se retrouvent », pense Clothilde Sauvages.

S’il ne doit rester qu’une chose, et si c’était la joie ? « Vendredi, en fin de journée, l’Université du Nous a chauffé les énergies et on a basculé sur un DJ set pour l’apéro. Une rasade de pluie est arrivée, un élément naturel qui nous tombe dessus. Certains rangeaient les parasols pendant que d’autres dansaient. C’était un moment [chaotique] mais extraordinaire de vibrations. Ça participe à l’idée de communion : c’est un moment, un instant, une unité de lieu, des personnes qui sont dédiées à l’instant présent et au contact physique. Toutes les énergies se transmettaient et s’embarquaient les unes les autres. Ça met beaucoup de baume au cœur et ça donne de l’énergie pour la suite. » Une énergie qui se retrouvera sans doute au cours d'événements qui s’inspireront de ce que OuiShare, et d’autres, mettent déjà en place pour que l’on puisse se retrouver sereinement dans un monde que l’on espère vraiment post-Covid.