Quel modèle pour l'événementiel dans le monde d'après ?
L'avenir du secteur, comme celui de la société tout entière n'est-il pas dans une plus grande hybridation ? Pistes de réflexion.
Après la stupeur, l'accélération. Impactée en premier par la crise sanitaire et dernière à en subir encore les effets, la communication événementielle a dû faire preuve d'une formidable adaptabilité. Même si c'est dans son ADN, elle s'est montrée particulièrement réactive et inventive, et ce dans un temps record ! Mais alors qu'on vit avec émotion la fin du couvre-feu et du port du masque en extérieur, le retour à la normale est-il envisageable ou même souhaitable ? L'avenir du secteur, comme celui de la société tout entière n'est-il pas dans une plus grande hybridation ? Pistes de réflexion.
Comme évoqué récemment, pour faire face aux impératifs immédiats, le secteur de la communication événementielle s'est très largement inspiré des techniques de la télévision et s'est même fortement doté en termes d'infrastructures.
Comme le confie Anne-Sophie Azzopardi, Directrice générale chez Hopscotch : « Face à la demande des clients, l'agence s'est équipée dès juillet 2020 d'un très grand studio, composé de trois plateaux de tournage, d'écrans LED et d'une régie dernier cri. Elle s'est aussi tournée vers des profils 'réal TV ', 'motion designers' et 'réal ciné' pour compléter ses équipes et s'adapter aux nouveaux formats ». Mais la vraie révolution n'est pas là. La communication événementielle a surtout « changé de mindset en six mois ». Aujourd'hui, si l'ensemble des clients souhaite fortement se retrouver en personne et partager des émotions, le format digital ne disparaîtra pas. L'événement 'new look' sera au mieux hybride, au pire « phygital ». En effet, s'il a été très largement expérimenté sous la contrainte au début, le format hybride s'avère in fine extrêmement intéressant pour tous les acteurs.
« Renault eways », un cas d'école
Si l'on suit toujours Anne-Sophie Azzopardi et qu'on prend l'exemple de Renault & Hopscotch, obligés de revoir tout leur dispositif suite à l'annulation du Mondial de l'automobile en octobre 2020 alors que l'enjeu de prise de parole était immense (nouveau CEO et légitimité électrique à asseoir), on peut en tirer plusieurs leçons. « Renault eways », organisé en présentiel pour 150 journalistes français et retransmis en direct dans plusieurs langues et sur plusieurs canaux, a généré plus de 2 millions de vues. Un record absolu ! L'abolition des frontières grâce au digital a augmenté la visibilité. En second lieu, le numérique a permis plus d'interactivité en temps réel, et ce, grâce à la division de l'audience en sous-groupes qui a donné la sensation aux différents publics-cibles d'une plus grande proximité et d'un attention accrue à ses besoins.
Par nature, ce genre d'événement permet aussi de recueillir une data précieuse pour l'agence, mais surtout pour l'annonceur. En effet, les dispositifs en ligne permettent de mieux renseigner les profils des participants et d'obtenir des données démographiques exploitables, en amont comme en aval. En termes d'organisation interne, cela a aussi permis une redistribution des cartes avec une plus grande liberté donnée aux filiales étrangères dans la programmation des essais, soit moins de verticalité et plus de collaboration. Enfin, côté RSE, l'empreinte carbone de l'événement hybride est exemplaire. Sans oublier non plus un coût global bien moins onéreux que par le passé... Le succès a été tel, que cet événement fait office de « case study » et apparaît depuis dans tous les benchmarks des agences et des annonceurs réunis.
La mode, toujours pionnière
Mais question hybridation – et ce n'est pas une surprise – c'est encore la mode qui a des leçons à nous donner. Deux exemples, parmi les plus réussis, Balenciaga et Zara.
Le défilé 'Clones' de Balenciaga, qui a eu lieu le 6 juin 2021, joue avec tous les codes technologiques du moment pour interroger notre perception du virtuel et du réel. Comme le rapporte la journaliste Maud Gabrielson, dans Le Monde daté du 7 juin : « Cette fois-ci, la collection baptisée « Clones » a pour unique héroïne la mannequin et artiste peintre américaine Eliza Douglas, qui prête son visage à tous les modèles foulant le podium. Certains d’entre eux sont des deepfake (ces vidéos reproduisant les traits et les gestes d’une personne) tandis que sur d’autres, le visage d’Eliza Douglas a été transposé numériquement sur le corps de ses consœurs. On imagine la protagoniste du jour ayant passé plusieurs heures électrodes sur le visage, devant le fameux fond vert dont Hollywood a le secret. Difficile de distinguer le vrai du faux. Les spectateurs, tous vêtus de noir, n’étaient quant à eux pas réellement là, mais par la magie de la technologie, ils apparaissent sagement assis, téléphone portable à la main. L’usage des outils numériques s’entend aussi dans la bande-son composée par le musicien BFRND : une voix féminine, générée artificiellement, répète en boucle et sur un ton monocorde les paroles de la chanson La Vie en rose, d’Edith Piaf ». C'est époustouflant de virtuosité, mais surtout cela élève l'expérience virtuelle au-dessus de l'expérience physique. Une piste intéressante s'il en est.
A l'autre bout du spectre mode, le dispositif mis en place par Zara en 2020 pour faire découvrir son look book aux acheteurs comme aux journalistes est une réussite. Dans l'incapacité de faire venir ses mannequins du monde entier en Espagne, la marque a envoyé les looks aux filles, chez elles, et leur a demander de se mettre en scène à la maison. Au final, la collection gagne en identification, en diversité et donne même l'impression de voyager... Avec une hausse des ventes exceptionnelles au vu du contexte, à la clef !
Il apparaît donc plus qu'évident que ces événements hybrides sont amenés à s'inscrire durablement dans le secteur. Ce d'autant, qu'ils permettent en outre de repenser totalement la temporalité des événements dans le temps et d'en tirer un meilleur 'profit'.
L'esquisse d'une nouvelle temporalité
En effet, à l'inverse du format classique d'un lancement produit, d'un défilé ou d'un séminaire, qui s'épuise lui-même dans sa durée, le format hybride peut/doit s'étirer dans le temps. Il permet de développer l'amont, l'aval et même d'autres dimensions parallèles encore, pour toucher tous les publics.
Comme le dit encore notre experte de chez Hopscotch : « on vit en dehors de l'écosystème de l'événement pur. Et c'est un acquis qui va rester. On ne peut plus se permettre de faire un événement unique pour les journalistes. Il faut 'cascader', jouer sur l'interactivité pour toucher la cible la plus large possible et obtenir le meilleur ROI ». Julien Villeret, Directeur de la Communication du groupe EDF et organisateur des Electric Days le 1er décembre 2020, interviewé par Les Échos à cette occasion, ne dit pas autre chose : « (…) L’évènement n’est pas limité à des invités, un jour J, à l’heure H. Ouverte à tous (à nos clients, aux étudiants, aux industriels et plus généralement aux curieux), cette plateforme digitale s’affranchit des jauges, des déplacements et même des fuseaux horaires. Elle mobilise ainsi des personnalités du monde entier plus facilement que si nous avions été en présentiel. La version bilingue ouvre également la journée à un public encore plus large. Tout ceci sans renier notre priorité : proposer un événement accessible à tous, quel que soit son handicap aussi ».
Cette nouvelle temporalité répond à la fois à des problématiques immédiates (sanitaires, protocolaires, budgétaires, etc.) mais au changement sociétal.
Physique ou digital, pourvu que ce soit durable !
En effet, deux impératifs – déjà émergents mais à présent centraux – se sont faits jour à la faveur de la crise que nous traversons : le besoin de durabilité et celui d'expérience personnelle/relationnelle. Pour ce qui est du premier, c'est un vrai changement de paradigme. Entreprises comme individus se sont aperçus du coût et de l'impact du transport aérien sur l'environnement. Mais aussi que le développement de la technologie permettait, dans la plupart des cas, une 'participation' sensiblement équivalente. Par conséquent, ne devraient demeurer en mode physique « pur » que les événements à haute valeur émotionnelle et créative. Les réunions en petit comité au cours desquelles on peut vraiment échanger (team-building, week-end VIP, etc) et/ou vivre une expérience mémorable, comme le défilé dans le champ de blé de Jacquemus ou la promenade en forêt de Burberry.
On le voit, la crise sanitaire a fait gagner deux ans à la profession en compétence digitale mais le souhait de tous est vraiment que le digital reste à sa place et demeure au service de l'humain. Car si l'événementiel a réussi son retour sur investissement dans un contexte inédit et perturbant, il faut maintenant qu'il réussisse son retour à l'émotion. Pour réussir cette synthèse, il faudra redoubler d'agilité et de créativité. 1, 2, 3 : Brainstormez !